Père Guy GERENTET de SALUNEAUX

Paroisse Ste Trinité

111 Avenue Jean Mermoz

69008 LYON Lyon, ce 11 Octobre 1999

en la fête de la Maternité de la V.M.

 

Aux signataires explicites et implicites du

"Recours au Siège Apostolique" du 29-6-99

 

 

Monsieur l'Abbé,

Voici donc une deuxième lettre à vous adressée, non pas, comme l'espéraient certains, pour m'excuser de la première ou pour en atténuer l'effet, mais pour analyser et commenter votre propre lettre. Je ne peux en effet laisser entretenir des équivoques, celle - en particulier - que je serais finalement d'accord avec vous : ce n'est pas parce que j'ai écouté - parfois longuement - certains d'entre vous ou lu quelques brèves remarques écrites que je suis d'accord avec vous. Si j'ai pu, au cours de ces entretiens ou à la lecture de vos lettres, mieux comprendre certaines de vos difficultés, je n'en récidive pas moins dans la désapprobation totale de votre recours.

Avant d'analyser celui-ci, je reviens sur quelques unes de vos réactions à ma lettre du 30 août :

1) J'aurais "jeté de l'huile sur le feu" : je regrette, mais c'est bien vous qui avez allumé l'incendie et les fidèles, comme vous-même, devaient connaître ma réaction, d'autant plus qu'à la date où j'ai envoyé ma lettre le texte de votre recours était déjà largement diffusé et connu...

2) "Mais - dites-vous - ce recours n'était pas destiné au public et ceux qui l'ont diffusé portent la responsabilité d'avoir semé le trouble parmi les fidèles...". Seriez-vous NAIFS ? Comment pouviez-vous espérer que votre lettre serait secrète ? Comment vouliez-vous empêcher ou éviter que ceux même qu'elle mettait explicitement en accusation (c'est-à-dire vos confrères...) ne réagissent vigoureusement à ces accusations qu'ils jugeaient profondément injustes ?

Dès lors, voici des fidèles qui, après avoir choisi de découvrir et fréquenter vos prieurés où ils avaient – enfin ! - trouvé une solide nourriture doctrinale et la paix d'une liturgie vénérable portant au sacré (ce que Jean Madiran résumait dans la triple expression "La Ste Ecriture, le Catéchisme et la Messe..."), voici donc ces fidèles qui apprennent un beau jour, en rentrant de vacances, que cette communauté, à laquelle ils faisaient confiance, connaît de si graves difficultés internes que l'autorité romaine est conduite à bloquer le gouvernement de son Supérieur Général et la tenue du Chapitre général prévu en Août : comment voulez-vous qu'à ces nouvelles les fidèles ne cherchent pas à se renseigner et plutôt que de se fier à des bruits de couloir, des "on-dit" ou des ragots, à connaître le document exact qui résume ces difficultés ? C'est alors qu'ils découvrent (certes, ce leur fut facile...) et lisent votre lettre de cinq pages. Aussitôt, c'est le SCANDALE inévitable dans deux directions opposées :

- ou bien les accusations portées dans cette lettre sont exactes, et alors pourquoi fréquenter encore une Fraternité qui connaît de telles dérives...

- ou bien ces accusations sont inexactes ou au moins démesurément exagérées, et alors honte aux accusateurs ! Et comme la plupart des fidèles qui fréquentent vos prieurés ne reconnaissent pas la Fraternité St-Pierre (FSP) dans le sombre tableau que vous en tracez, ils se retournent contre vous en vous accusant de "SABORDAGE"...

3) Moi, je vous ai accusés de "véritable félonie". Cela vous choque ? Certes, je reconnais que l'adjectif insiste trop lourdement : j’aurais pu écrire "une sorte de", et l'on me fait remarquer que félonie = trahison au profit de l'ennemi et que Rome, à laquelle vous vous adressez, n est pas l'ennemi : oui, bien sûr, mais qui peut nier que nous ayons des ennemis à Rome ? Ce n est pas de moi l'expression "les fumées de Satan" au cœur même de l'Eglise... N'avez-vous pas l'impression d'avoir trahi la confiance de vos Supérieurs qui vous avaient souvent dit que les difficultés que vous évoquez - en les ramenant à leur juste proportion - pouvaient se régler "ad intra"...

Venons-en maintenant à l'analyse de votre recours. J'ai ouï dire qu'il vous fallait au moins deux heures d'explications pour commenter et éclairer votre lettre ! Je pense que vous ne mettrez pas 2 heures à me lire et mes commentaires vous montreront comment un prêtre extérieur à votre communauté mais ami de celle-ci peut appréhender (= saisir et craindre) votre initiative...

Dans la version que je possède (qui est, j'en suis sûr, conforme à l'original...), votre texte comporte 5 pages (la 6e donnant seulement les noms des 16 signataires) : je suivrai donc cette pagination dans mon commentaire...

page 1 : Deux affirmations ouvrent votre recours :

1) Vous avez "conscience de poser un acte grave", justifié par "l'urgence de la situation". Pour ce faire, vous avez "pris conseil et prié" : qu'aurions-nous eu comme résultat si vous ne l'aviez pas fait ! Dans vos commentaires en direct, vous évoquez volontiers les conseils de certains Pères Abbés : j'aimerais bien connaître :

- s’ils ont approuvé votre lettre dans sa rédaction définitive...

- leur réaction en face d'une initiative semblable de la part de quelques membres de leur communauté...

2) "La situation urgente", c'est - dites-vous en vous référant aux propos du Cardinal Ratzinger - "l'obéissance à la constitution 'de Sacra Liturgia'" quant à "l'adaptation du rite de 1962 aux souhaits des Pères conciliaires" et l'acceptation "d'un signe liturgique concret d'unité avec l'évêque du lieu". D'après vous, "la totalité des membres élus au Chapitre général sont "fermement opposés" à ces deux réformes pour sauvegarder strictement "une position ecclésiale parallèle et marginale" : sont-ce vos Statuts et le rite de 1962, approuvés par Rome en 1988, que vous considérez comme "parallèles et marginaux" Curieux... Vous prétendez aussi que votre réforme liturgique n’est qu' "un juste aménagement" conciliaire "des normes du Missel de 1962" et que cette réforme est souhaitée par "un tiers environ des membres de la FSP" : 16/95, ce n'est pas le tiers ! mais acceptons ces signataires "implicites" qui vous permettraient d'atteindre peut-être le tiers, de toute façon, il me semble évident que ces réformes souhaitées par "un tiers" ne requéraient pas un appel à l'intervention urgente de l'autorité romaine... En parenthèse, on aimerait savoir pourquoi ces signataires "implicites" n'ont pas signé : par peur ? de qui ? de quoi ? Sur quel(s) point(s) de votre lettre sont-ils ou non d'accord ? Clarification opportune...

Enfin, dernière remarque sur cette première page : la concélébration est-elle envisagée par vous comme le seul et décisif "signe liturgique concret d'unité avec l’évêque" ? Cela mériterait un argumentaire développé... auquel s'est essayé fort heureusement le Père de Blignières et dont les conclusions sont à prendre en considération...

page 2 : cette page donne "quelques exemples" de litiges pour "illustrer" la page 1.

Les exemples des §1° et §2° relèvent de l'autorité ordinaire du Supérieur général et ne réclament pas l'intervention romaine. Par contre, au §3°, deux accusations graves :

- "remise en cause de l'autorité de la commission Ecclesia Dei sur la question liturgique" par "nombre de prêtres jusque parmi les Supérieurs"

- et dissimulation suggérée aux séminaristes lors de la visite canonique à Wigratzbad.

Voilà des accusations qui vont faire mouche à Rome ! Mais heureusement, tout cela est FAUX et vous ne l'affirmez qu'en détournant SCIEMMENT les propos de vos confrères ! Quant au §4°, l'adverbe "régulièrement" est une exagération manifeste et le "dysfonctionnement" (s'il existe...) "dans l'exercice du pouvoir du Supérieur général" doit être examiné au cas par cas : point n'est besoin, là encore, de l'autorité romaine !

Cette page s'achève sur une affirmation capitale : "l'essentiel n'est pas là". Si le français a un sens, cela signifie que l’essentiel se trouve dans ce qui suit... qui n'est donc pas ce qui précède, et c'est bien à cet "essentiel" qu'est réservé le "recours au Siège Apostolique"...

page 3 : cet "essentiel" est inqualifiable = une bombe, assortie d'un tir au canon de 7 obus mortels ! Analysons les coups :

A) "Le raidissement liturgique" (qui, à lui seul, bien sûr, ne justifierait nullement un recours à Rome ...) "ne paraît être que la MANIFESTATION EXTERIEURE d'une OPPOSITION PLUS GRAVE à l'EGLISE VISIBLE, à son ENSEIGNEMENT et sa HIERARCHIE ACTUELS, MEME Si LES DECLARATIONS OFFICIELLES VEULENT PERSUADER du CONTRAIRE" : une vraie bombe aux effets dévastateurs, mais cela ne suffit pas aux signataires, précisons l'attaque avec les obus !

B) "Les raisons de cette opposition de fond (ce n'est donc plus du détail liturgique...) à la hiérarchie ecclésiastique... sont plutôt psychologiques, voire sociologiques, et à ce titre incontrôlables" : une voiture qui roule sans chauffeur, on sait ce que cela donne ... La FSP n'a plus de chauffeur : que Rome reprenne le volant ! (cf page 5, in fine)

C) La FSP manifeste une "constante progression vers un esprit de séparatisme" comme "ce glissement insensible qui conduisit la FSPX" au schisme...

D) "On peut craindre la même évolution pour la FSP" en raison de son "manque de confiance en l'Eglise" ...

E) "Dans la pratique, cette insistance démesurée sur certains détails liturgiques (ce "rubricisme" tant décrié par les contempteurs de la liturgie traditionnelle) conduit à oublier puis à ignorer de facto" ...

F) "l'écoute du Magistère vivant" et G) "l'évangélisation" ...

J'AFFIRME ici que l'accusation F) est un quasi-MENSONGE :

- parce que les Séminaristes lisent au réfectoire et étudient, selon les années, beaucoup des principaux documents du Magistère de Jean-Paul II...

- parce que je connais peu de prêtres dans les diocèses qui aient étudié, développé et transmis aux fidèles ces documents autant que l'ont réalisé les prêtres de la FSP (comme aussi tous ceux des communautés "Ecclesia Dei"...)

- parce que le Pèlerinage de Pentecôte "Paris-Chartres", auquel participent, en corps constitué, les séminaristes de Wigratzbad, et la plupart de vos confrères, a développé, ces 3 dernières années, les thèmes du Jubilé.

Quant à l'accusation G), depuis quand 1 SEUL REFUS (à vos yeux injustifié) viendrait-il occulter l'évangélisation réelle assurée par l'ensemble de la FSP ?

H) Enfin ("in cauda venenum") "beaucoup... sont fascinés par la figure de Mgr Lefebvre (les catholiques de notre temps, prêtres et évêques compris, qui disent volontiers que Luther était une "figure fascinante" sont-ils excommuniés ou même simplement admonestés ?) et veulent faire de la FSP une réplique exacte de la FSPX, les sacres épiscopaux en moins, le droit pontifical en plus". Fermez le ban ! C'est le point d'aboutissement logique des accusations précédentes (mais ce n'est pas encore "Halte au feu!")

Après un tel REQUISITOIRE, la cause est entendue : est-il en effet possible de formuler des accusations plus graves aux yeux de Rome que celles que vous avez accumulées ? Il y a. dans cette seule Page 3, DE QUOI JUSTIFIER, de la part de Rome, la DISSOLUTION IMMEDIATE de la FSP, si, bien sûr, ces accusations étaient justifiées. En réalité, j'estime que de telles accusations, quand elles ne sont pas quasi mensongères (cf G), ne proviennent que d'un ramassis d'interprétations gravement tendancieuses qui frisent la calomnie. Je vous le dis tout net : une page d'une telle violence suffit à déconsidérer ses auteurs et même les réformes éventuellement légitimes et raisonnables que vous souhaiteriez promouvoir...

page 4 : Cette page n’ajoute rien d'utile au réquisitoire précédent. Le "raisonnement rapide" que vous prêtez à vos confrères est tellement sommaire qu'il en est caricatural : vous estimez vraiment peu vos confrères ! Mais là encore l'ARGUMENTAIRE supposé est CALCULE pour NUIRE, et cela devient fastidieux à relever...

Quant à "l'inquiétude" des fidèles et leur "trouble", parlons-en !

Le dernier paragraphe est assez révélateur... de votre propre inquiétude : vos thèses et projets étant davantage "exposés en public", craigniez-vous, par hasard, que vos Supérieurs et l'ensemble des fidèles ne vous prient... d'aller fonder la Fraternité "St Paul" par exemple ? Est-ce pour cela que vous avez pris les devants ? Oui, vraiment "beaucoup de fidèles savent", maintenant surtout grâce à votre lettre, "que la FSP est à la croisée des chemins et se demandent quelle route elle prendra",... avec vous ou à cause de vous ! Soyez sûrs que la plupart ont déjà choisi : que la FSP continue sa route dans son identité première, mais sans vous, à moins que vous ne vous décidiez enfin à devenir plus raisonnable !

page 5 : dans le §1° vous revenez aux problèmes liturgiques par deux pétitions de principe plutôt vagues et qui vous compromettent fort peu... et une affirmation ridicule : qui se fait "prêtre" d'abord "pour un rit" plutôt que d'abord "pour l'Eglise et les âmes". Mais l'on peut légitimement choisir d'être prêtre dans une communauté dominicaine ou bénédictine dont on suivra fidèlement le rit !

Le §2° ne manque pas de culot : c'est VOUS surtout qui êtes "attentifs à (promouvoir une) évolution" que vous voulez imposer à la majorité, c'est VOUS qui avez créé peu à peu "une atmosphère irrespirable", c'est VOUS enfin qui engagez votre Fraternité dans "une impasse certaine"...

Et votre conclusion au §3° apparaît presque modérée en regard des accusations portées page 3. Ce n'en est pas moins un VERITABLE SABORDAGE, et, dans l'immédiat, un SABORDAGE REUSSI : par la fulgurante réponse romaine, vous avez quasi obtenu gain de cause :

- le chapitre général a été reporté...

- un visiteur canonique sera probablement envoyé...

- le gouvernement du Supérieur général est quasi bloqué...

- il ne reste plus qu'à mettre la FSP sous "haute surveillance" romaine...

Beau travail, en vérité ! Et vous auriez voulu que les auteurs de cette "explosion" et leurs motifs restassent inconnus des fidèles ? Vous rêvez !

Et maintenant, je m'interroge toujours sur les RAISONS de votre INITIATIVE… Vous êtes, à l'évidence, convaincus de la nécessité de votre démarche pour "sauver" la Fraternité et vous avez besoin de l'autorité romaine pour IMPOSER à tous vos confrères des réformes dont vous pensez qu'elles assureront non seulement la survie mais encore le développement de votre Institut. D'où vous vient cette "certitude" ? Sans doute - et c'est l’explication la plus bienveillante que je puisse trouver - de votre contact avec le "terrain apostolique" dans les ministères qui vous sont confiés. Vous êtes confrontés, en première ligne, au clergé diocésain "officiel", séculier et régulier, qui, en règle générale, se montre poli avec vous, mais qui, à quelques exceptions près, tolère votre identité différente sans l'accepter vraiment. Vous découvrez par ailleurs une " pastorale d'ensemble" qui frise parfois une sorte de totalitarisme et dont vous voyez bien les limites et les échecs. Vous souffrez - comme beaucoup de prêtres -de l'apathie, de la sclérose ou de l'indifférence de la majorité des fidèles et vous constatez aussi le caporalisme des "commissions" et des laïcs engagés par des "lettres de mission". En regard de cette situation, vous trouvez que votre zèle pastoral est trop limité au cercle des fidèles que vous touchez dans vos prieurés et vous aimeriez qu'un plus grand nombre de fidèles découvre la "tradition vivante" et en bénéficie. Pour ce faire, pensez-vous que quelques aménagements liturgiques vont suffire à capter la bienveillance des diocèses et à attirer de nouveaux fidèles ? Ce serait naïf ! Vous me sembler opposer les exigences de la MISSION de reconquête des fidèles à celles de la nécessaire maintenance d'une TRADITION vivante. Vous savez pourtant que l’"aggiornamento" demandé par le concile Vatican II et réalisé fébrilement sur les plans de la liturgie, de la pastorale, du catéchisme, etc... n'a pas produit les fruits espérés : l'on a plutôt assisté à un effondrement généralisé (on a souvent "jeté l'enfant avec l'eau du bain"...!) dont l'Eglise a peine à se relever... Alors, l’"aggiornamento" de la FSP ? Méfiez-vous de ne pas y perdre votre identité et votre substance ! Il me paraît plus raisonnable de continuer à faire le pèlerinage des évêques et de vous contenter humblement de ce qu'ils accordent - trop parcimonieusement, certes... - à votre Institut TEL QU'IL EST dans ses STATUTS et dans ses RITES.

Peut-être jugerez-vous que cette deuxième lettre est trop sévère : sachez qu'elle est à la mesure de l'indignation qu'a suscitée en moi votre redoutable démarche... Je n'ignore pas pour autant les difficultés et les problèmes qui peuvent se présenter dans votre Fraternité, mais je persiste à penser que tout cela doit se régler "ad intra" autour d'une table ... et sous le regard de Dieu ! Alors, votre initiative serait-elle un MAL NECESSAIRE ? L'avenir le dira...

Achevant ce soir cette lettre, j'apprends qu'une "réunion de conciliation', se déroule à Rome ces jours-ci avec la participation des deux "tendances" de votre Fraternité. Croyez bien que je forme les voeux les plus ardents pour que vous amorciez une réconciliation nécessaire ouvrant une ISSUE à l'IMPASSE ACTUELLE afin que votre Fraternité retrouve une vigoureuse et seconde jeunesse au terme de cette terrible crise.

C'est dans cette espérance - confiée en ce jour et en ce mois à la Vierge Marie - que je vous assure, Monsieur l'Abbé, au delà de nos divergences, de ma fidèle et sacerdotale prière.

 

Guy Gérentet